Monnaie de classe et marché intérieur
Encore un article sur la monnaie de classe ! Décidément, c’est un sujet aussi clivant dans notre groupe de pédagogues Freinet que récurrent dans les demandes d’ateliers… Si certain·es de nous sont rebuté·es par l’idée même de monnaie en classe, d’autres n’envisagent plus de s’en passer. Au cours d’un atelier en décembre 2023, nous avons essayé de répondre à quelques questions sur la monnaie de classe, pour analyser en toute transparence à quoi elle sert, quels besoins elle vient combler, en quoi elle se distingue des bons poins mais aussi de l’argent, comment fonctionne le marché intérieur, qu’est-ce qui est « payé » – ou pas – dans nos plans de travail, comment on « lance » la monnaie dans une classe…
Et comme d’habitude, les réponses sont complexes et variées, car nous n’avons pas toustes exactement les mêmes pratiques – heureusement !
Une motivation à se mettre au travail ? Oui mais…
La monnaie de classe est un outil de médiation : il supplée l’enseignant dans la motivation pour la mise au travail. C’est quelque chose d’extérieur à l’enseignant, qui n’est pas de l’ordre de la relation humaine, c’est un levier pour éviter la relation duelle, affective.
La symbolisation en termes chiffrés permet aussi de se rendre compte de la quantité de travail que les élèves ont accompli. Ils voient sur leur plan de travail ce qui leur a fait gagner de l’argent. Un enfant qui ne gagne rien mais doit au contraire de l’argent pour cause d’amendes, gênes, infractions, oublis, ça se passe de commentaires.
La différence avec le bon point, c’est que le bon point récompense un « bon » travail, alors que la monnaie récompense l’effort. Les critères sont clairs, explicites, objectifs, les enfants savent comment ils peuvent gagner ou perdre de la monnaie. La monnaie, ce n’est pas en fonction de l’humeur de l’adulte.
La monnaie est aussi une valeur d’échange, au contraire des bons points. Et pour cela, le marché intérieur est nécessaire, pour que ce soit une vraie monnaie : les enfants doivent pouvoir vendre et acheter des objets, gâteaux, etc. Leur monnaie doit servir à quelque chose.
La monnaie n’est pas non plus « de l’argent » car on ne peut pas spéculer dessus.
Un écueil de la monnaie est par exemple que les élèves les moins enclins à se mettre au travail, les moins scolaires, les moins assidus, les moins intégrés, etc. vont être découragés, et vont se retrouver comme par hasard les plus « pauvres » en monnaie. L’enseignant, avec l’aide du Conseil, doit absolument corriger cela, par exemple en instituant que les ceintures soient toutes payées pareil, quelle que soit leur couleur, ou en permettant à toustes de gagner de la monnaie par différents types de travail ou d’effort. Mais justement, dans une classe coopérative ou le marché est présent, tout le monde peut gagner de la monnaie par différents biais.
Nous sommes souvent surpris de voir que les élèves coopèrent, s’allient et s’associent entre eux pour équilibrer leurs gains. On a même vu des élèves effectuer un travail pour fournir de la monnaie à un camarade en difficulté. La plupart donnent, partagent généreusement.
La mise en place de la monnaie dans une classe coopérative
C’est souvent la dernière institution mise en place dans la classe. Elle vient après conseil, correspondance, métiers, plan de travail, etc. Cela peut être décidé en Conseil, mais la maîtresse peut aussi décider unilatéralement qu’il y aura une monnaie, en se basant par exemple sur les ouvrages de Sylvain Connac. Certains enseignants proposent des monnaies uniquement scripturales, mais pour nous, il s’agit plutôt d’une monnaie physique. Il est important que les élèves manipulent, comptent, évaluent, possèdent, échangent.
Les choses se construisent au fur et à mesure, avec une grille figée au début, mais amendée en Conseil par les suggestions des enfants : ceci doit être payé davantage car cela demande plus de travail, prend plus de temps, tel métier doit être payé plus que tel autre, etc.
Chez Katy, les enfants ont des porte-monnaies, placés dans une boite dans une armoire fermée. Un enfant a le métier des porte-monnaies. Les paiements se font toutes les semaines, ou 2 ou 3 semaines selon les plans de travail. Chez Judith au contraire, chaque enfant garde sa monnaie dans une enveloppe ou un porte-monnaie personnel, et les plans de travail sont payés quand ils sont finis, c’est-à-dire quand toutes les cases sont remplies.
Il faut en général une ceinture verte de comportement, et bleue de calcul et/ou numération pour être banquier·e.
La monnaie s’entrelace avec les autres institutions vivantes de la classe : Conseil bien sûr pour les décisions sur ce qui doit être rémunéré, ou pas, ou plus ou moins, sur le montant des amendes, etc ; ceintures et métiers pour la gestion pratique de la banque, du marché… La monnaie ne peut donc pas être utilisée seule, telle quelle, sans les autres institutions d’une classe coopérative.
Qu’est-ce qui est payé, pas payé ?
Nos pratiques diffèrent. Globalement c’est le travail individualisé qui est payé (ceintures, fiches, exposés, textes libres, poésie, etc.), et non le travail obligatoire. Mais cela dépend. Certain·es sanctionnent aussi les erreurs de copie sur le cahier du jour par une amende en monnaie de classe. Certains exercices de type dictée ou calcul peuvent faire l’objet d’un paiement sur critères décidés en Conseil. Certains enseignants payent les corrections effectuées sur un travail.
La plupart d’entre nous défalquent le prix des amendes (gênes, infractions…) du plan de travail.
En cas d’élèves qui n’arrivent pas à passer une ceinture de comportement pour un item non respecté (prise de parole par exemple), on peut, au lieu de sanctionner, mettre un « point vert » ou « bonus » qui sera payé si l’enfant arrive à lever la main, ou à chuchoter…
Certains collègues utilisent la monnaie pour inciter les élèves à accomplir des tâches basiques telles que rapporter les documents administratifs de rentrée !
En général, les métiers sont payés (mais pas dans toutes nos classes), mais pas les fonctions/ rôles de président de réunion.
Certaines d’entre nous payent les créations artistiques, d’autres classes le refusent catégoriquement. Le débat est ouvert.
Comment fonctionne le marché intérieur ?
Le marché est la pierre angulaire de l’institution monnaie. Sans le marché, la monnaie n’a pas de valeur d’échange, elle revient donc à des bons points. Le marché rend concrète l’utilité de la monnaie.
Le nombre de vendeurs est illimité, mais une règle peut être par exemple qu’il y ait au moins 4 vendeurs pour que le marché ait lieu.
Le marché doit avoir une fréquence, une régularité. Dans certaines classes c’est 10 minutes toutes les semaines, dans d’autres classes 20 minutes toutes les deux semaines…
Les élèves y vendent des objets qui viennent de la maison, ou bien des choses qu’ils ont fabriquées, mais aussi des gâteaux, des bonbons, des boissons. Ils apprennent à se séparer des objets (bien préciser que l’objet une fois vendu ne peut plus être récupéré).
Dans certaines classes, il y a un porte-monnaie de classe géré par l’enseignante, qui tient parfois un stand avec objets à vendre, notamment des livres, images découpées, etc. Ainsi l’adulte se fait lui aussi un pécule en monnaie de classe, qui lui permettra de se procurer des gateaux sans « piquer dans la caisse » (un collègue a été critiqué en Conseil car il utilisait la banque pour se payer un gâteau !). Par contre si l’adulte achète des choses pour la classe iel utilise directement la banque.
Katy fait payer le matériel de classe quand les réserves personnelles (colles, stylos, etc.) sont épuisées. Les élèves ont accès à leur porte-monnaie uniquement quand ils ont besoin d’acheter, au marché ou à la papeterie de classe.
Au cours d’un marché, il arrive que certains élèves achètent tout le stock sur un stand (billes, cartes, gâteaux). D’autres achètent puis revendent immédiatement avec profit (spéculation). D’autres encore « réservent » des articles auprès d’un camarade, bloquant les autres acheteurs. L’enseignant·e s’inscrit alors en Conseil pour faire une critique ou proposition. Ce type de pratique doit être découragé ou interdit. Ainsi, le Conseil fixe souvent des règles permettant de réguler le marché : par exemple le nombre de réservations sera limité à 1 article sur tout le marché. Ou encore l’interdiction de la revente au cours d’un même marché. Le Conseil peut décider d’interdire le profit… Ce type de débat est souvent intéressant et permet d’aborder les bases de l’économie… de marché !
Si cet article vous a intéressé·e, que vous aussi vous pratiquez ou souhaitez pratiquer la monnaie de classe, si vous avez des doutes, des questions, n’hésitez pas à laisser un commentaire. Si vous êtes dans la Haute-Garonne, venez nous rencontrer à la prochaine réunion…
Encore un article très intéressant, merci !