Pratiquer les sciences de la maternelle au lycée

En pédagogie Freinet, le tâtonnement expérimental est la base. Cela doit donc nous conduire à pratiquer les sciences constamment, avec des ateliers plus ou moins libres, qui permettent aux élèves d’entrer à leur rythme dans la méthode hypothético-déductive. Lors de notre atelier en août 2024, nos attentes sont diverses : faire des sciences autrement ; sortir des fiches et des programmes ; organiser le matériel ; rendre l’activité Sciences attrayante sur le temps de travail individualisé ; ne pas se contenter de l’observation mais aller vers la structuration ; susciter les recherches et les prolongements ; créer une culture commune scientifique dans la classe ; et pour les collègues du secondaire : décloisonner entre les matières scientifiques ; montrer les liens entre les sciences et la vie quotidienne ; entrer dans la « méthode scientifique »…

Des pratiques collectives en classe

De la maternelle au lycée, il est possible de lancer un défi collectif, comme par exemple les « tatex » (aussi appelés « défis technos »).
En maternelle, cela peut être la construction d’une toupie ou d’une boule à neige, par exemple. Suite à la description collective de l’objet, la question est posée au groupe classe : quels matériaux sont nécessaires pour construire cet objet ? Après avoir réuni tous les matériaux demandés par les enfants, on les laisse chercher par équipe ou individuellement. Sur des temps de présentation, chacun présente l’avancée de sa recherche. On voit ce qui fonctionne ou pas, ce qui manque…
En élémentaire, des collègues rapportent l’utilisation du fichier « Tatex » dans leurs classes. Un défi à trois niveaux est lancé à toute la classe : construire une balançoire ou un ascenseur pour Playmobil, réaliser un circuit pour des billes, construire des pentes différentes pour que des petites voitures arrivent en même temps dans un garage, construire un pont qui puisse soutenir un cartable, etc. Les élèves doivent le réaliser par groupes avec du matériel de récupération à leur disposition : carton, ficelle, scotch, colle, billes, morceaux de bois… Pour réaliser le défi, ils doivent coopérer, discuter, s’entraider ou s’opposer… A la fin du temps imparti, le groupe classe observe et commente le travail de chaque équipe. L’adulte s’assure que tout le monde a pu participer, apporter ses idées, les tester, être écouté·e…

Des pratiques individuelles

Avec les fiches « Sciences au bout des doigts » (éditions Odilon), c’est la pratique individuelle qui prévaut. Sur des temps de travail individualisé, les élèves peuvent choisir une fiche d’expérience et la mener à terme avec du matériel en libre accès : pailles, bouteilles, cure-dents, cuillers, tubes de carton, etc. Chaque fiche se présente sous forme d’un schéma assez ouvert au recto et de quelques prolongements au verso. Quasiment aucune consigne. Mais suffisamment d’incitations pour entraîner une vraie recherche de la part des élèves, pouvant conduire à découvrir de manière vivante tous les concepts clés de la physique : forces, équilibres, propriétés de l’air, de l’eau, magnétisme… Selon les collègues du secondaire, ces fiches pourraient être utilisées par des collégiens et lycéens, car tous les points du programme de physique y sont abordés.

Sur les temps de travail individualisé, les activités de type arts plastiques sont souvent davantage choisies que les sciences… Plusieurs solutions pour remédier à ce problème : imposer l’activité science par le biais d’une feuille de route ou d’ateliers tournants ; rendre le matériel plus accessible ; commencer l’année par faire la même fiche pour tout le monde ; inciter à la présentation d’expériences sur les temps de « quoi de neuf » ou de présentation ; avoir un planning mural avec des questions du type : qui voudrait prolonger cette expérience ?

Comment institutionnaliser le savoir ?

Il faut inciter à la présentation de ces expériences réalisées individuellement ou en groupes. L’expérience ne doit être validée qu’une fois présentée, donc formalisée. Lors de cette présentation, l’adulte veillera à demander : pourquoi là ça fonctionne alors que là, ça ne fonctionne plus ? Et si on changeait le récipient ? Et si on mesurait… ? Et si on prenait de l’huile au lieu de l’eau ? Est-ce que le papier tomberait plus vite s’il était plié ? Etc.
On incite ainsi à prolonger la piste de recherche, ce qui peut aboutir à des zones de savoir avec lesquelles les enseignants du primaire ne sont pas nécessairement à l’aise. Par exemple, est-ce que la vitesse de la bille dépend de la longueur de la pente ou bien de la hauteur du point de départ ?
Pour créer une culture commune scientifique, un schéma peut être réalisé par l’élève, qui peut servir de trace écrite collective, et sur lesquels l’enseignant peut apporter la « part du maître », en l’occurrence les concepts clés : force, vitesse, masse, frottement de l’air, gravité, levier, pivot, etc.
Ainsi, le compte-rendu d’expérience de l’enfant, agrémenté des apports de l’adulte et des questionnements communs, devient la leçon.

Jusqu’où pousser le tâtonnement expérimental ?

L’adulte peut avoir peur que le tâtonnement aille trop loin. Soit parce que l’on n’est pas à l’aise avec les concepts en jeu, soit au contraire, dans le cas de profs de matières scientifiques dans le secondaire, on craint de ne pas pouvoir leur expliquer des concepts beaucoup trop pointus. Il peut en résulter une frustration pour l’adulte comme pour l’élève, tout comme dans les créations et les recherches mathématiques. Faut-il pour autant arrêter la curiosité des élèves à la limite de ce qu’ils sont capables de comprendre ? Car un vrai laboratoire scientifique est a priori inaccessible au commun des mortels : on n’y « voit » rien sans matériel coûteux et complexe.

N’oublions pas que l’adulte a le droit de dire : « je ne sais  pas ». Ou encore : « je vais chercher et je vous le dirai plus tard, parce que là, je ne suis pas sûr·e ». Iel peut aussi dire : « les scientifiques ne sont pas toustes d’accord sur ce point ». Mettre les élèves en recherche, c’est les inscrire dans une histoire millénaire : celle des sciences et de la recherche scientifique. Rappelons-nous que concernant la tectonique des plaques, par exemple, le consensus scientifique ne date que des années 1960. Les élèves peuvent arriver assez vite à des certaines limites des sciences les plus actuelles et/ou à des questions épistémologiques ouvertes. N’oublions pas aussi, comme l’a décrit Bachelard, le rôle de l’affectif et de l’imagination dans les découvertes scientifiques…