Le Conseil : quand, pourquoi, comment ?
Comment faire pour que les élèves se saisissent du Conseil, qu’ils se l’approprient ? Comment éviter les clans dans la classe, comment créer de la cohésion, de la coopération ? Comment éviter que la partie « critiques » se transforme en tribunal ? Comment préparer l’ordre du jour ? L’enseignant doit-il intervenir dans le Conseil ? Quel temps, quelle fréquence des Conseils, et quelles règles de fonctionnement ?
Comment faire pour que les élèves se saisissent du Conseil, qu’ils se l’approprient ?
Une collègue nous fait part de son désarroi : ses élèves utilisent peu le Conseil, ils ne veulent pas y régler leurs conflits, ne proposent pas grand chose, les échanges sont assez pauvres…
En effet, le Conseil peut sembler pauvre en échanges et en investissement des élèves, du moins au début. Il ne faut pas se décourager, car si l’on se réfère à l’ouvrage de Catherine Pochet « Qui c’est l’Conseil ? » (éditions Maspero, collection Matrices, 1980), qui montre une année scolaire de conseils hebdomadaires, on voit que les échanges se mettent en place petit à petit. Au début c’est le bazar, c’est peu productif, l’écoute n’est pas de qualité… Puis au fur et à mesure de l’année, le Conseil prend forme, les élèves apprennent à s’écouter… On passe du « bavardage » à la « parole ».
Pour inciter les élèves, l’enseignant·e peut prendre l’initiative de féliciter (les élèves sages, un travail bien fait, le matériel rangé, les progrès accomplis…) et les élèves s’en saisissent, se mettent à féliciter à leur tour, à remercier. Idem pour les critiques : l’enseignant·e passe par la médiation du Conseil pour critiquer les élèves qui ont un mauvais comportement. Cela permet à l’enseignant de se détacher de « l’affectif » et de l’arbitraire.
Les élèves se saisissent du Conseil s’ils voient qu’il comporte de vrais enjeux. Il faut rappeler qu’à l’origine il s’agit d’un Conseil de coopérative : selon Freinet ou Barthélémy Profit, le conseil est conçu pour organiser non seulement le travail mais aussi l’argent de l’école, le financement des projets et du matériel. Si de l’argent ou du pouvoir est en jeu, les élèves en saisissent plus vite l’intérêt !
Un écueil est de formuler des projets qui ne sont pas réalisés. Pour les projets non réalisables (ex : « on voudrait partir en voyage aux Bahamas »), non éthique (ex : « je propose qu’on interdise une partie de la cour à certains élèves ») ou non conformes aux programmes (ex : « on voudrait pouvoir faire des jeux vidéo en classe »), l’enseignant·e doit tout de suite mettre son veto (en expliquant pourquoi).
Si le projet est validé, en revanche, il faut accepter que cela peut prendre du temps à réaliser. L’enseignant·e ou les élèves font un planning avec « qui fait quoi ? » pour être certain·es que le projet aboutisse. Certain·es d’entre nous prévoient aussi un temps hebdomadaire institutionnalisé pour réaliser les projets issus du Conseil, individuellement ou par équipe.
Quoi qu’il en soit, la crédibilité du Conseil dépend de la capacité de la classe à réaliser les projets qui en sont issus. Ne pas réaliser les projets du Conseil, quels qu’ils soient, c’est s’exposer à perdre la confiance des élèves et à les voir se désengager. Au contraire, leur montrer que le Conseil est un lieu de pouvoir véritable va les inciter à s’y impliquer.
Comment éviter les clans dans la classe, comment créer de la cohésion, de la coopération ?
Pour éviter les phénomènes de clans, l’exclusion de certains enfants, l’enseignant peut choisir de pratiquer le théâtre d’improvisation. Un sujet tiré au sort, une équipe (ou plusieurs si il y a « match »), un temps limité pour concevoir ensemble un petit scénario, et c’est parti… Le jeu doit se dérouler en une ou deux minutes. Cette pratique permet de créer de la cohésion dans un groupe.
Certain·es utilisent aussi le « jeu des trois figures » proposé notamment par Serge Tisseron : la classe choisit ou écrit une histoire comprenant un agresseur, une victime, et un sauveur/ témoin. Les enfants jouent par trois et chacun·e son tour jouera les trois rôles. Ce jeu permet à chacun de s’identifier tour à tour à toutes les places, et développe donc l’empathie.
L’enseignant·e peut aussi critiquer au Conseil les enfants excluant les autres.
Comment éviter que la partie « critiques » se transforme en tribunal ?
Certain·es proposent de rebaptiser la rubrique « critiques » en « j’ai un problème », car le problème n’est pas forcément attaché à un·e élève en particulier, il peut être anonymisé, alors que la critique est dirigée contre quelqu’un (Je critique Untel). Et recevoir une critique, parfois même plusieurs d’affilée, en public, ce n’est pas toujours facile pour un enfant (pour un adulte non plus, d’ailleurs)…
Mais plusieurs d’entre nous tiennent à l’appellation « critiques ». En effet, si le problème arrive jusqu’au Conseil, c’est que l’enfant qui l’exprime est vraiment embêté. De plus, la critique peut être anonyme : par exemple « je critique ceux et celles qui laissent les toilettes sales ». Comment régler le problème quand on ne connaît pas nommément l’objet de la critique ? On reparle des règles, des lois, de la politesse. On fait des affiches.
La partie « critiques » n’est pas forcément le lieu d’un débat. Certain·es enseignant·es décrivent une partie de Conseil a minima : la critique est lue, mais pas débattue. Elle peut être suivie d’un message clair, ou encore d’une médiation hors Conseil.
Pour ne pas se laisser déborder par des critiques surnuméraires, on peut aussi dire « bac à sable » (variante : « tas de sable ») quand une même critique revient, ou que la classe estime qu’elle n’a pas sa place au Conseil. Les enfants s’approprient rapidement ce « maitre-mot », qui permet de passer plus vite et de ne pas encombrer l’ordre du jour.
Certains élèves retirent aussi leur critique, prenant conscience que leurs griefs n’étaient pas si fondés que cela.
L’histoire des « trois tamis de Socrate » peut aussi être une bonne ressource à montrer aux enfants : ce que tu as à dire est-il vrai, est-il bon, est-il utile ? Si non, ne le dis pas… Il faut expliquer la différence entre « aller dire » quand il y a un danger et « rapporter » (= dénoncer). Il faut aussi expliciter à certains élèves les règles de la politesse et de la sociabilité : pour se faire des copains/ copines, il n’est pas souhaitable de dénoncer, rapporter des faits anodins, des écarts à la règle. Il faut « rapporter » uniquement si quelqu’un est en danger. Cela permet d’éviter les prises de pouvoir abusives de la part de certains élèves, qui se sentent investis d’une responsabilité et dénoncent les camarades.
Toutefois, il ne faut pas minimiser cette partie du Conseil, car certains enfants attendent vraiment du Conseil que leur problème soit traité, et s’ils s’estiment lésés, que réparation leur soit faite.
De même, certaines critiques répétées à l’égard d’un même enfant peuvent alerter l’enseignant·e sur un problème qu’iel n’avait pas forcément perçu.
Si le nombre de critiques est trop important, il est possible de faire un Conseil spécifique à part, par exemple 15 minutes quotidiennes, qui laissent du temps pour des choses plus gaies au Conseil.
Comment préparer l’ordre du jour ?
Certaines classe utilisent un cahier de Conseil, sur lequel les messages sont inscrits. D’autres des feuilles affichées, une pour « je critique », une pour « je félicite », une pour « je propose ». Le ou la président·e (ou secrétaire) recopie alors chaque message au fur et à mesure que le Conseil avance.
Il est possible aussi d’utiliser des post-its de couleurs différentes (par exemple rose pour félicitations, bleue pour critiques, verte pour propositions). Cela permet d’économiser du temps de recopiage et de l’énergie, car il suffit de coller le post-it dans le cahier et d’inscrire à côté la décision prise par le collectif et/ou le résultat des votes.
L’ordre du jour peut être préparé en amont par le ou la président·e, avec l’aide de l’enseignant·e par exemple sur un temps de travail individualisé ou d’APC.
Le ou la président·e peut décider dans quel ordre traiter les rubriques (félicitations en premier parce que cela prend peu de temps, ou au contraire en dernier pour terminer sur une note heureuse…).
L’enseignant doit-il intervenir dans le Conseil ?
La plupart d’entre nous demandent la parole comme les élèves. Si l’enseignant a une préséance, le Conseil n’est plus un lieu de partage de pouvoir. L’enseignant doit donner l’exemple en respectant les règles de la prise de parole.
L’enseignant est membre du collectif de la classe, comme les élèves, iel peut donc intervenir, féliciter, critiquer, proposer. Par contre l’adulte reste adulte et garant du bon fonctionnement. Iel ne peut donc pas se mettre en retrait et espérer que le Conseil fonctionne tout seul.
C’est un équilibre à trouver : ni trop présent, ni trop absent…
Quel temps, quelle fréquence des Conseils, et quelles règles de fonctionnement ?
Le Conseil doit a priori se faire sur une base hebdomadaire. Il dure environ une heure, un peu moins, ou un peu plus.
Communément, la règle est la suivante : gêneur ou gêneuse une fois = avertissement ; deux fois = perte du droit de parole ; trois fois = exclusion. Toutefois certains enfants n’arrivent pas à respecter ces règles et se retrouvent systématiquement exclus, ce qui n’arrange pas la situation et provoque un cercle vicieux… Deux solutions peuvent alors être envisagées pour éviter l’exclusion systématique des élèves les plus perturbateurs : soit on applique une autre règle (amendes à payer en monnaie de classe; autre sanction…) soit, si on utilise le système des ceintures de comportement, on impose des règles moins strictes pour les petites ceintures, qui par définition sont souvent les élèves les plus perturbateurs.